Jean Gabriel Fortuné, ancien maire des Cayes et ancien sénateur du département du Sud, était un proche conseiller du président Jovenel Moïse, assassiné la semaine dernière. Il estime que la sécurité est désormais la priorité des Haïtiens et que le pays ne pourra pas s’en sortir sans une intervention de l’ONU.

RFI : Vous êtes au fait des mesures de sécurité entourant le palais présidentiel et la résidence privée du chef de l’État. Comment expliquez-vous que des hommes armés aient pu se retrouver face au président Jovenel Moïse ?

Jean Gabriel Fortuné : Il faut traverser au moins quatre postes de sécurité, tenus par des unités de police différentes pour arriver à la chambre du président. Je n’arrive pas à comprendre que l’on puisse avoir une telle complicité de tous ces services, en même temps. Il n’y a pas eu de riposte, ni d’échange de tirs. C’est donc un vaste complot. Les mercenaires étaient bien accompagnés. Dès qu’on a appris l’assassinat, il aurait fallu procéder à l’arrestation immédiate des responsables de la sécurité du président. Sept jours plus tard, cela n’a pas été fait. Les institutions haïtiennes, que ce soient la police ou la justice, sont totalement dysfonctionnelles. On ne peut pas compter sur elles. Si la communauté internationale ne s’implique pas dans cette enquête, on peut désespérer. Fort heureusement, ils sont là.

En 2018, vous aviez été mandaté par Jovenel Moïse pour dialoguer avec l’opposition en vue de trouver une éventuelle sortie de crise. Croyez-vous aujourd’hui à ce dialogue inter-haïtien que beaucoup appellent de leurs vœux ?

Cette époque est révolue. Le dialogue inter-haïtien, pour moi, est révolu. Ce n’est plus possible. Les gens ne peuvent même pas se parler. Pour le moment, seule la communauté internationale, à travers l’ONU, a la capacité de trouver une solution à cette crise. Ils doivent s’impliquer davantage. Les Américains doivent mettre la pression pour que les acteurs politiques haïtiens et la société civile puissent finalement se rencontrer. Sans la communauté internationale, aucun dialogue ne sera possible. La transition doit se faire avec un agenda imposé par les Nations unies. Malheureusement.

Faut-il organiser des élections dès le mois de septembre comme l’ont demandé les États-Unis ?

Pour le moment, c’est impossible, on ne peut pas avoir des élections dans ces conditions. On ne peut pas compter sur les unités de la police nationale. Il n’y pas de président de la République, ni de président de l’Assemblée nationale, ni de président de la Cour de cassation. Celui qu’on appelle Premier ministre aujourd’hui est un Premier ministre par défaut. Il n’y a plus d’État. C’est l’effondrement total de l’État. La société civile haïtienne est en délitement. Donc sur qui compter aujourd’hui ? On doit compter avec les Nations unies, avec l’Organisation des États américains (OEA), les États-Unis, la France et le Canada ! On n’a pas le choix.

Pourtant, les Nations unies n’ont pas laissé que de bons souvenirs en Haïti ?

On doit avoir le courage de dire que la communauté internationale a également échoué en Haïti. Nous sommes à quelques kilomètres des États-Unis. Donc, les États-Unis ont laissé faire. Parfois, l’approche même des Nations unies sur le dossier haïtien laisse à désirer. On a dépensé beaucoup d’argent en Haïti et il n’y a pas eu de résultat. Ils doivent changer de logiciel et changer d’interlocuteurs.

Quelle est la priorité aujourd’hui pour les Haïtiens ?

La priorité, c’est la sécurité. Mais on ne peut pas obtenir un semblant de sécurité sans l’intervention des Nations unies. L’assassinat du président est le point culminant, mais bien avant cela nous n’étions pas en sécurité !

Vous appelez donc à un nouveau déploiement de casques bleus en Haïti ?

Inévitablement. Il nous faut cette intervention, on n’a pas le choix ! Et il se fait tard, car les gangs armés contrôlent toute la capitale. L’État haïtien, avant même l’assassinat, ne pouvait pas faire face à ces gangs armés. Les Nations unies étaient au courant. Nous sommes un pays en danger, nos voisins ont la responsabilité de nous venir en aide. C’est une responsabilité avant tout morale.

Il ne s’agirait pas d’un retour en arrière ?

Malheureusement, c’est notre histoire, il faut l’assumer. Nous l’assumons. Il faut repenser les institutions politiques haïtiennes, les consolider. Après, peut-être, les Nations unies, les Américains, les Français pourront se dire qu’ils ont fait quelque chose pour Haïti. Ils ont le devoir moral d’intervenir.

RFI