25 août 1958. Il est 16 heures quand le général de Gaulle met le pied sur le tarmac de l’aéroport de Conakry (Guinée). Depuis quelques jours, le dernier président du Conseil de la IVe République parcourt les colonies africaines afin de les rallier à la nouvelle Constitution qu’il propose aux Français. Deux discours, dix heures d’escale à Conakry qui vont sceller l’avenir du processus d’indépendance de la Guinée.

Le 20 août 1958, le général de Gaulle démarre une tournée africaine : Antananarivo, Brazzaville, Abidjan, Conakry, Dakar, Alger sont sur le parcours de l’homme de la France libre qui n’a qu’un objectif : rallier les colonies à la proposition de nouvelle Constitution. Le 28 septembre, les Français sont appelés à voter pour ou contre le projet de constitution de la Ve République.

Les départements et territoires d’outre-mer (DOM-TOM), dont font partie les colonies de l’Afrique-Occidentale française (AOF) comme la Guinée, sont aussi appelés à voter, avec un enjeu particulier. La nouvelle Constitution prévoit que ces colonies puissent rejoindre une « Communauté française » censée renouveler les liens entre la métropole et les territoires africains.

La veille de son arrivée à Conakry, Charles de Gaulle rappelle, dans un discours à Brazzaville, ce qui a été jusque-là l’alternative offerte : sécession ou participation à la Communauté. Mais il ouvre aussi une porte : la participation à la Communauté ne sera pas irrévocable. les territoires qui auront rejoint cette Communauté française pourront par la suite prendre leur indépendance, sans que cela soit considéré par Paris comme une rupture.

Discours du Général de Gaulle à Brazzaville

Deux discours, deux visions

Le 25 août 1958, De Gaulle est à Conakry. Le PDG (Parti Démocratique de Guinée) a demandé à la foule de se mobiliser pour offrir un accueil mémorable au premier des Français. La population s’est massée sur le bord de la route. Arrivés à Kaloum, De Gaulle et Sékou ont une brève entrevue. En même temps, les membres de la délégation métropolitaine, Pierre Messmer et Bernard Cornut-Gentille, découvrent le discours que livrera Sékou Touré quelques minutes plus tard à l’Assemblée territoriale. Un discours véhément, « pas bon » pour les proches de de Gaulle, « mais pas inacceptable » juge alors Pierre Messmer, haut-commissaire de la République en Afrique équatoriale française (AEF). Le temps manque avant la déclaration devant l’Assemblée pour demander des corrections. De Gaulle n’en prend même pas connaissance. Il sera lu tel quel par Sékou Touré, le premier des deux à prendre la parole.

« Nous avons, quant à nous, un premier et indispensable besoin, celui de notre dignité. Or, il n’y a pas de dignité sans liberté, car tout assujettissement, toute contrainte imposée et subie dégrade celui sur qui elle pèse, lui retire une part de sa qualité d’Homme et en fait arbitrairement un être inférieur. Nous préférons la pauvreté dans la liberté à la richesse dans l’esclavage. »

Extrait S. Touré : discours à Conakry lors de la tournée africaine du Général De Gaulle pour le référendum
Ce ton offensif, ce discours ciselé et ces propos audacieux face au Président du Conseil français vont déplaire au général de Gaulle. « De Gaulle reçoit cela comme une insulte. Je le vois à sa pâleur », raconte Pierre Messmer. Celui qui est alors Président du Conseil français réagit immédiatement, en improvisant un discours tout aussi offensif.

« Cette Communauté, la France la propose ; personne n’est tenu d’y adhérer. On a parlé d’indépendance, je dis ici plus haut encore qu’ailleurs que l’indépendance est à la disposition de la Guinée. Elle peut la prendre, elle peut la prendre le 28 septembre en disant “non” à la proposition qui lui est faite et dans ce cas je garantis que la Métropole n’y fera pas obstacle. »

Général de Gaulle : réponse à l’allocution du président Sekou Touré

De Gaulle, furieux, quitte la salle en oubliant son képi. Il dira à ses proches : « La Guinée, Messieurs, n’est pas indispensable à la France. Qu’elle prenne ses responsabilités. […] Nous n’avons plus rien à faire ici. Le 29 septembre, la France s’en ira ». Vexé, le chef du gouvernement français annule toutes les réceptions prévues, ne dîne pas avec Sékou Touré comme convenu initialement et quitte Conakry le lendemain matin. Sékou Touré qui devait embarquer pour Dakar avec lui ne viendra pas. Il arrivera avec plusieurs heures de retard à l’Assemblée fédérale de l’AOF.

Certains historiens, parmi lesquels Elizabeth Schmidt, historienne spécialiste de la Guinée, pensent aujourd’hui que Sékou Touré n’était pas forcément indépendantiste à ses débuts. Mais le bouillonnement intellectuel dans la jeunesse de son parti au début de l’année 1958, ainsi que son opposition à la Constitution de la Ve République telle que De Gaulle la propose – puisqu’il souhaite garder la cadre de l’AOF/AEF – le poussent à demander le vote du « non » et donc de se prononcer pour l’indépendance. Sa faconde fait le reste. Les deux hommes ne se croiseront plus jusqu’à la mort de De Gaulle, douze ans plus tard.

Le 28 septembre 1958, les Français votent « oui » à la nouvelle Constitution. La Guinée est le seul DOM-TOM à voter pour le « non » et ce à plus de 95 %. Comme promis par le général de Gaulle dans son discours, la Guinée devient donc indépendante quatre jours plus tard, le 2 octobre 1958. Pour De Gaulle, c’est un affront. La République de Guinée ne bénéficiera d’aucun investissement français. Les fonctionnaires de la République française sont priés de partir au plus vite de Guinée. Les relations entre les deux pays sont glaciales. En 1965, c’est la rupture du dialogue diplomatique entre les deux pays.

Elles reprennent sous Pompidou puis plus amplement encore sous Giscard d’Estaing, qui ouvre une ambassade de France puis réalise, en 1978, la première visite d’un chef d’État ou de gouvernement français à Conakry depuis… le 25 août 1958.

rfi