La demi-finale de Coupe du monde qui oppose mardi soir la France et la Belgique offrira avant tout une réponse temporelle : d’un côté, à des Diables qui se doivent de transformer les espoirs nourris par une génération dorée, de l’autre, à des Bleus qui ne connaissent pas vraiment leurs limites. Sous les projecteurs, c’est l’histoire.

Une bascule entre patrons, sur un bout de gazon, à Nijni Novgorod : la survie d’un parcours en Coupe du monde tient souvent à rien, et le quart de finale gagné vendredi dernier par les Bleus face à l’Uruguay (0-2)aura fait éclater une vérité aux yeux de tous. Ça s’est joué juste avant la mi-temps, au bout d’une tête de Martín Cáceres. Varane rembobine la chose : « Quand je vois le ballon passer, je pense qu’il va au fond, mais sa détente(celle d’Hugo Llorisnous sauve. C’est génial de pouvoir compter sur un gardien de ce niveau-là. (…) Il faut lui dire merci et le prendre dans ses bras. (…) Avant la compétition, il y avait des doutes sur lui, mais nous, on n’a jamais douté de lui. On connaît son talent. Il est à ce niveau depuis des années, que ce soit en club ou en sélection, sa valeur n’a pas changé en l’espace de quelques semaines. Et dans le foot, tu ne changes pas de valeur en quelques semaines. » L’histoire ne le dira jamais, mais tout aurait pu changer sur l’instant. Ce que Deschamps a dit entre les lignes après la rencontre – « L’arrêt de Lloris, c’est presque un but. » – avant de ranger la chose avec le but décisif de Raphaël Varane : dans la case expérience, l’armoire à souvenirs, « le vécu » . « C’est ça le foot : tout sert » , a alors conclu le sélectionneur. Lundi après-midi, à la veille de la sixième demi-finale de Coupe du monde de l’histoire de l’équipe de France, Didier Deschamps a décidé de rouvrir cette porte : il tient bien une équipe.

« On ne connaît pas trop les limites »

Un virage quand on connaît le bonhomme, pas nostalgique pour un sou, réticent lorsqu’on lui demande de se projeter, défenseur de l’immédiat. Aux yeux de Deschamps, le foot est un objet de l’instant : il prend un match individuellement, ne voit pas plus loin que celui-ci et tout ce qui suit, il le regardera quand il en sera temps. Pourtant, à la veille de retrouver la Belgique à Saint-Pétersbourg, il a regardé à l’horizon : « L’équipe qui a démarré ce Mondial était compétitive, mais je pense qu’elle le sera encore plus dans les deux ou quatre années à venir. La marge de progression est importante, et cette compétition l’a bien prouvé. On est passé par des débuts laborieux, on est montés en puissance et ça servira à tous ceux qui seront là dans les années à venir. »

En bon capitaine, Hugo Lloris n’a pas dit autre chose au moment où un journaliste s’est amusé à tirer le fil de ses dix ans passés chez les Bleus : « J’ai connu beaucoup de grands joueurs durant cette période et je crois qu’on a l’opportunité de marquer l’histoire de l’équipe de France. On se rapproche du but, ça devient de plus en plus difficile. Aujourd’hui, il y a un bon mélange et on ne connaît pas trop les limites de cette nouvelle génération… Il faut s’en servir pour les repousser et aller chercher ce qu’il y a de plus beau dans le foot. C’est une étape qui sera importante dans nos carrières, à tous. » Une Coupe du monde est ce qu’il y a de plus beau et c’est le discours servi depuis le début, des anciens (Varane, Lloris, Mandanda, Matuidi, Pogba) aux nouveaux affamés (Mbappé en tête, Lucas Hernandez) : ne vous inquiétez pas, on sait où on va, on sait qu’on peut le faire, laissez-nous faire. On y est.

L’imaginaire et le réel

Le moment est unique : on va différencier l’imaginaire du réel. Depuis le début de ce Mondial, Deschamps aura fait des choix (valse des latéraux, réajustement tactique, sacrifice de Dembélé pour réinstaller Giroud) et il n’y a plus de surprise, juste une dynamique à entretenir : c’est le message qu’ils claironnent tous. C’est dans cette entrebâillement que la Belgique, qui va croquer dans sa première demi-finale de Mondial depuis 1986, apparaît et s’avance, selon Lloris, dans la peau de « l’équipe la plus complète » du tournoi en cours. Il y a l’histoire d’un transfert de pression là-dedans, mais aussi une réalité : cet adversaire n’a peur de personne et de pas grand-chose. « Pour moi, le classement FIFA ne veut rien dire » , a tiré Nacer Chadli dimanche, avant de préciser son idée : « Avec le Brésil, on a cassé une barrière. Quand tu bats le Brésil, tu ne crains personne. » Thomas Vermaelen, qui devrait s’installer aux côtés de Kompany et Alderweireld derrière, a lui aussi avancé que l’ambition de ces Diables allaient bien « au-delà de la demi-finale » . Peut-il en être autrement ? Non, évidemment, et Kevin De Bruyne a affirmé lundi qu’il était venu en Russie avec ses potes « pour gagner ce Mondial » . Et là, c’est une autre histoire qui se raconte derrière les discours.

L’heure des Diables

Celle d’une équipe de mecs qui jouent ensemble depuis presque dix piges, tous fruits de la réforme engagée par le foot belge au début du siècle. Ce Mondial est celui de la récolte, l’heure ou jamais, presque, la Belgique présentant probablement le groupe le plus homogène de cette Coupe du monde si l’on s’en tient à la notion de génération. Alors, pourquoi tant d’échecs ? On nous a longtemps parlé des ego, des galères linguistiques, de la notion d’identité variable. Au milieu de ça, Roberto Martínez est arrivé, comme pour siffler la fin de la récré et faire converger les potentiels ensemble. « Il s’est appuyé sur notre potentiel collectif et a resserré le groupe en nous donnant foi en nos capacités, a justifié De Bruyne avant la rencontre. Aujourd’hui, on a un vrai sentiment de confiance en nous et les uns envers les autres. »

D’où la victoire contre le Brésil, chef-d’œuvre à deux têtes : dans l’adaptation tactique et la réponse collective d’un groupe bousculé au tour précédent, face au Japon. Martínez y est pour beaucoup : « J’ai une équipe, pas un groupe d’individus. C’est un processus qui en a fait une équipe compétitive au plus haut niveau. Aucun joueur n’utilise la sélection pour améliorer son image personnelle, ces mecs partagent une vision, une ambition commune et veulent rendre la Belgique fière. Ce qu’il nous manquait, c’était une expérience internationale, un vrai vécu. C’est ce que Thierry Henry nous a apporté. Lui sait comment gagner une Coupe du monde, c’était la pièce manquante parfaite. Et nous voilà en demi-finales du Mondial. » Ça n’est plus un fantasme, juste une réalité : oublions l’histoire du barbecue entre voisins. Place aux transformations, c’est ce qui définira l’échelle de temps.

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