Sulemana Braimah, Directeur Exécutif de la MFWA, met en lumière la détérioration de l’état de Liberté de la Presse en Guinée.
Jusqu’en janvier 2017, la Gambie était le pays qui avait la mauvaise réputation en ce qui concerne les violations de la liberté de presse en Afrique de l’Ouest. Pendant 22 ans, le dictateur brutal du pays; Yahya Jammeh, a assujetti les journalistes et les défenseurs des droits de l’Homme dans son pays à de graves abus, y compris les disparitions forcées, la torture et les exécutions extra-judiciaires.
Les conditions de la liberté de la Presse en Gambie s’améliorent progressivement depuis la fuite en exile le 21 janvier 2017 de Jammeh après avoir essuyé une défaite électorale inattendue le 1er Décembre 2016, et a, par la suite, été obligé par les forces régionales à lâcher le pouvoir.
Dans un récent rapport d’évaluation de la situation en Gambie après le départ de Jammeh, Vivian Affoah, une Chargée Principale de Programme à la Fondation des Médias pour l’Afrique de l’Ouest (MFWA) a mis en exergue les changements importants et positifs de l’environnement général de la liberté d’expression dans le pays durant cette période d’un an.
Tandis que la situation de la liberté de la presse en Guinée au cours d’un an a été satisfaisante et prometteuse, en Guinée, les évènements ont été profondément inquiétants. En ce qui apparait comme une course pour succéder à Jammeh comme le pire violateur des droits des médias en Afrique de l’Ouest, le régime du Président Condé est en passe de s’illustrer nettement des autres par le nombre écrasant les violations des droits des médias.
Juste comme l’ancien dictateur Jammeh, le Président Condé âgé de 79 ans, s’est lancé dans l’acte de donner personnellement les ordres aux médias guinéens sur ce qui ne doit pas être publié ou diffusé. Dans ce que la MFWA avait décrit comme «Une Censure Présidentielle», le Président Condé a le 25 Novembre 2017, ordonné aux médias en Guinée de ne pas couvrir ou d’accorder d’interviews au Secrétaire Général Adjoint du syndicat des enseignants du pays, Aboubacar Soumah. Les enseignants étaient en grève pendant des semaines, une action que le Président Condé a décrite comme une rébellion du syndicat des enseignants.
Paradoxalement, le Président Condé qui est à la tête de l’Union Africaine depuis Janvier 2017 en tant que Président en exercice, a publié son ordre de censure lorsqu’il s’adressait à la 46eme conférence Internationale de l’Union de la Presse Francophone à Conakry ; la capitale de la Guinée. Le Président ne s’est pas seulement contenté de publier un ordre de censure. Dans son ordre, se trouvait une menace de fermeture de n’importe quel organe de média qui violerait l’ordre censure.
Juste en l’espace de deux jours, l’ordre de censure a été appliqué. Une station de radio populaire; BTA FM, basée dans la ville de Labé, à 450 km au nord de Conakry, a été fermée. Les gendarmes de la localité (une force paramilitaire) ont envahi les locaux de la station radio et ont l’ont fermé sur les instructions du gouverneur de la région de Labé peu après que la station ait interviewé le leader censuré du syndicat des enseignants.
Le journaliste Alpha Oumar Fogo qui a interviewé le leader du syndicat des enseignants, a été emmené, avec son collègue Mamadou Saidou Diallo, au département national de la sécurité pour des interrogatoires. Les deux ont été relâchés après y avoir passé trois heures suite aux agitations publiques.
Le lendemain de la fermeture de BTA FM, il a été reporté que 40 stations de radio les plus écoutées du pays ont interrompu leurs diffusions pendant 24 heures. L’action des stations de radio était en solidarité avec BTA FM et pour protester contre la censure présidentielle des médias et la culture croissante de répression de la liberté d’expression dans le pays.
Avant le fameux ordre du Président Condé, il y eut une série de violation des droits des médias dans le pays et la plupart ont été perpétrées par les agences de l’Etat ou des acteurs étatiques. Le 30 Octobre 2017, l’Autorité de Régulation des Télécommunications et de la Poste (ARTP) a brouillé pendant quatre jours les transmissions de la Radio Gangan. Ceci a fait suite aux rumeurs faussement attribuées à la station, selon laquelle le Président Condé serait décédé.
\Outre la perturbation de la transmission de Radio Gangan, le rédacteur en chef de la station de radio, son directeur adjoint et le directeur commercial ont été amenés et gardés en détention provisoire par les forces de sécurité pour « divulgation de fausses rumeurs ». Les trois ont été relâchés quelques heures plus tard, alors que le directeur général de la station Aboubacar Camara, a été arrêté et détenu par les gendarmes le lendemain.
En plus de la vague des violations, les gendarmes ont frappé plusieurs journalistes venus de quatres coins de Conakry dans les locaux du groupe paramilitaire pour montrer leur solidarité à Camara suite à son arrestation le 31 Octobre. Les équipements de plusieurs journalistes affectés ont été aussi détruits. Suite à l’incident, un groupe d’association des journalistes a porté plainte contre l’Escadron de la Gendarmerie devant un tribunal de Conakry pour agression sur les journalistes. Le dossier est toujours pendant devant la cour.
Trois jours après l’arrestation de Camara (3 Novembre), l’organe de régulation des médias; la Haute Autorité de la Communication (HAC) a suspendu Espace FM et toutes ses stations relais à travers le pays pendant une semaine. La suspension fait suite à une discussion sur la station de radio à propos de l’état délabrée des garnissons militaires dans le pays.
En lien avec la même diffusion, Moussa Moise Sylla, le Directeur Général d’Espace TV et panéliste sur ledit programme de radio a été formellement accusé le 15 Novembre de «divulgation de secrets militaires». Le procès a été fixé au 25 Décembre 2017.
En début d’Octobre, un journaliste d’un des sites d’informations les plus influents du pays; www.aminata.com a été attaqué par les sympathisants d’un parti politique tandis qu’un autre a été détenu de façon illégale par un agent de police qui l’a forcé à supprimer ses enregistrements. La direction du journal a publié plus tard un communiqué se plaignant du manque de réparation pour les actes d’agression commis sur ses reporters malgré les plaintes formelles adressées aux autorités.
Comme les violations se multipliaient, le Président Alpha Condé a fait une sortie pour exprimer « sa profonde consternation. » Mais quel fut le choque au sein des médias et activistes de la liberté d’expression d’entendre le Président se plaindre plutôt des réactions exagérées du public face aux violations. «Dès qu’on arrête les journalistes c’est le tollé» a dit le Président Condé. «Pendant ce temps dans les pays qu’on considère comme démocratiques on arrête des journalistes tous les jours, on ne dit rien». Cette remarque controversée fut le prélude de l’ordre de censure concernant le dirigeant du syndicat des enseignants.
Au premier trimestre de 2017, la MFWA a dans son rapport trimestriel titré Suivi de la Liberté d’Expression en Afrique de l’Ouest (en anglais: West Africa Free Expression Monitor), relevé cinq incidents de violations de la liberté de la presse, y compris la répression des manifestants élèves et étudiants avec sept morts, deux cas d’agression physiques, un incident d’arrestation arbitraire et un incident d’interrogatoire.
La recrudescence des violations de la liberté de la presse n’a pas seulement attiré l’attention de la communauté des médias dans le pays. Les organisations de la société civile ont commencé aussi à s’indigner du problème. Le Président de la coalition des organisations de la société civile de la Guinée, Dr. Dasa Koroma a récemment condamné les attaques fréquentes sur les journalistes et les autres formes de violations des droits des médias tout en exhortant les médias et l’ensemble des organisations de la société civile dans le pays à se lever pour défendre la liberté de la presse.
La Guinée, un des pays les plus pauvres d’Afrique, a été frappé par la récente épidémie meurtrière d’Ebola, a traditionnellement eu un environnement répressif de la liberté de la presse. Dans l’édition du classement mondial de 2017 de Freedom House, le groupe des droits des médias basés aux USA, la Guinée et la Gambie ont été les deux pays d’Afrique de l’Ouest dont la liberté de presse a été classée comme «pas libre». Le Cap Vert, le pays insulaire a été classé comme ayant un environnement médiatique «libre» tandis que le reste des pays dans la région ont été classés comme ayant un paysage médiatique «partiellement libre».
Le gouvernement de transition qui a restauré la démocratie en Guinée en 2010 après les récentes interventions militaires, a voté la Loi /2010/002/CNT du 22 Juin 2010 pour dépénaliser les délits de presse en plus de donner aux citoyens un droit légal à l’information avec l’adoption de la Loi/2010/004/CNT sur le Droit à l’Information.
Les attentes étaient énormes lorsque le Président Condé a pris la tête de la Guinée en 2010 après avoir remporté les élections très serrées et émaillés de contentieux. Condé est devenu le premier président à être librement élu comme dirigeant et il a promis de renforcer la démocratie dans le pays.
Au regard des violations de la liberté de presse énumérées ci-dessus, l’on peut dire que les autorités Guinéens ont échoué de concrétiser les bonnes intentions du régime de transition par rapport à la liberté de la presse et la responsabilité démocratique. Actuellement à son deuxième mandant de cinq ans qui prend fin en 2020, le régime du Président Condé est considéré comme l’un des régimes qui a fait détériorer davantage l’état de la presse.
Au cours des dernières années , il y a eu des activités relativement limitées de plaidoyers sur la liberté de la presse ainsi que d’initiatives d’appui au développement des médias par les organisations internationales en Guinée. Les groupes de plaidoyers des médias dans le pays sont aussi fragmentés et faibles.
La Guinée a été l’un des pays les plus perturbées dans la région et certainement l’un des pays qui ont besoin d’un appui d’urgence pour le renforcement et la consolidation de la démocratie. Des médias dynamiques et indépendants sont quelques-unes des besoins urgents pour l’amélioration de la gouvernance en Guinée. Par conséquent, il est très important pour les organisations régionales et internationales des médias de mettre au premier plan la Guinée pour des appuis en plaidoyers sur les droits des médias et le développement des médias à l’approche des élections de 2020 dans le pays. La Guinée ne doit pas être laissée à son sort pour qu’elle devienne un enfer pour les journalistes en Afrique de l’Ouest.
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