Avec la féminisation croissante de nombreuses armées, se pose la question de la place des femmes sur les navires de guerre et notamment dans les sous-marins. Une évolution qui pose un défi logistique, mais surtout psychologique.

L’entrée officielle en service du dernier porte-avions de l’US Navy, l’USS Gerald R. Ford, le 23 juillet dernier aurait pu susciter des débats sur ses toutes nouvelles catapultes électromagnétiques ou encore sur la dernière génération de réacteurs nucléaires, et pourtant, c’est une autre innovation qui a fait couler beaucoup d’encre. Tous les urinoirs ont été supprimés pour n’avoir que des toilettes « neutres en genre », accessibles aussi bien pour les hommes et que pour les femmes. Certains y ont vu un progrès en termes d’égalité, tandis que d’autres dénonçaient une réforme peu hygiénique.

Aux Etats-Unis, la question de la féminisation des armées reste un sujet brûlant. La marine et l’armée de l’air restent les forces les plus féminisées. Au Pentagone, on nous répond avec beaucoup de précision : « Sur 322 739 personnes servant dans la Navy, 61 447 sont des femmes, soit 19%. Nous avons également des femmes servant sur nos sous-marins ».

Des navires de plus en plus adaptés

Dans de nombreuses marines, la féminisation des équipages des navires s’est progressivement imposée à partir des années 1990. Elles ont d’abord pris place à bord des navires de surface, puis plus rarement dans les sous-marins. Particulièrement confinés, il est difficile de prévoir dans ces derniers des espaces de vie réservés aux femmes. Dans l’US Navy, on a commencé à intégrer ces dernières dans ce type de bâtiments à partir de 2010, pour atteindre aujourd’hui un taux de féminisation qui reste inférieur à 1% (contre 2% d’officiers et 5% de marins sur les navires de surface).

Pour réduire cet écart, l’US Navy a commencé à modifier les sous-marins existants et à concevoir des bâtiments prenant en compte la possibilité d’intégrer des femmes. La prochaine génération de submersibles de la classe columbia, dont le premier exemplaire doit être livré en 2031, est conçue pour convenir à un équipage totalement mixte.

La difficulté d’intégrer des marins des deux sexes n’implique cependant aucun défi technique pour les industriels. Chez Naval Group, fabricant français de navires militaires, on nous assure que « ça n’a pas beaucoup d’impact dans la conception, surtout des navires de surface. Il y a moins de marins dans une même chambre, pour des raisons de confort. C’est un peu plus délicat pour les sous-marins, où il faut prévoir plus de locaux de taille réduite pour intégrer les femmes. D’autant plus que les grades ne sont pas mélangés. Mais là aussi, le confort évolue de toute façon. Ça ne génère pas beaucoup d’études supplémentaires pour les ingénieurs ».

Aujourd’hui, des femmes servent sur des navires dans une multitude de pays. Les premiers à leur ouvrir leurs sous-marins ont été la Norvège en 1985, puis le Danemark en 1988, la Suède en 1989, l’Australie en 1998 et le Canada en 2000.

La France rattrape son retard

Dans la Marine nationale, l’intégration de marins femmes se fait au fil des années. Les premières volontaires ont pu embarquer sur des navires français en 1983. Il s’agit alors d’expérimentations. Pour les officiers, l’Ecole navale ouvre ses portes aux premières cadettes en 1993, sauf pour servir dans les sous-marins, les fusiliers commandos et les équipages des avions embarqués. En 2000, le porte-avions Charles-de-Gaulle devient mixte.

« Aujourd’hui, 9% des marins embarqués sont des femmes et elles représentent 14% de l’effectif global, explique-t-on au sein de la Marine nationale. Le nombre de bâtiments pouvant accueillir un équipage mixte est en constante augmentation. Tous les emplois sont désormais ouverts aux femmes. Il restait la seule exception de l’emploi à bord des sous-marins à propulsion nucléaire du fait des conditions d’habitabilité. L’expérimentation de l’embarquement de femmes au sein des équipages de sous-marins nucléaires lanceurs d’engins est toujours prévue en 2017/2018 ». Reste encore à réussir les formations et autres tests, ce qui n’a encore jamais été fait par exemple dans les commandos de marine. Pour ce qui est des submersibles, trois postes sont ouverts pour un premier équipage mixte : médecin de bord, officier chef de quart et officier « énergie-propulsion ».

Alix, une femme qui a servi sur un bâtiment de projection et de commandement (BPC), confirme cet effort : « Les BPC sont des bâtiments extrêmement confortables. Ça pose plus de problèmes sur des plus petits bâtiments, comme les chasseurs de mine. Il y a certains bateaux où moi je n’ai pas pu aller. Il y a une frustration, mais je sais que ce n’est pas à cause d’une politique de la Marine nationale, c’est juste un problème d’infrastructures. Il n’y a pas de regard négatif sur les femmes, au contraire. On est plutôt valorisées ».

Le capitaine de corvette Fernand se souvient avec nostalgie de sa propre expérience lorsqu’il embarquait sur le TCD Foudre en 1995, en compagnie des premières femmes : « Les questions qu’on se pose pour les sous-marins aujourd’hui se posaient pour les bâtiments de surface il y a 25 ans ». Déployé au large du Liban, il découvre alors la vie à bord. Les rumeurs circulent sur sa chef directe, une femme dont les hommes commentent le physique. « Quand des garçons et des filles de 20 ans sont ensemble, il peut se passer des choses. J’avais été accueilli à l’école par un discours ferme : « pas d’hommes, pas de femmes, que des marins», se rappelle-t-il. Je crois que certain étaient quand même déstabilisés. Ce qui compte, ce n’est pas seulement d’avoir des filles aux comportements irréprochables. Il faut aussi des hommes parfaits. Ce qui est impossible. Je crois qu’on s’est simplement habitués à cette idée. Moi, c’est le cas. Contre toute attente, j’ai trouvé mon épouse dans la marine ! »

Rfi.fr