Lundi 25 juin dernier, vers 7h, le ciel est gris dans la cité de l’alumine. Une fine pluie particulièrement tenace s’y abat. En attendant le vieux bus qui récupère les ouvriers coincés sous un hangar, nous accrochons un d’entre eux.

« Je pense que le président de la République n’est pas au courant de ce qui se passe à Friguia. Quand il parle d’emplois des Guinéens, il ne sait pas que les travailleurs de Rusal/Friguia ne sont toujours pas employés. Les Russes les ont utilisés dans une société de sous-traitance qu’ils ont mise en place. C’est nous qui avons rénové l’usine, mais en sous-traitance. Et pourtant, nous sommes sous contrat à durée indéterminée, signé en bonne et due forme avec les Russes. Mais vous savez, personne ne peut plus revendiquer. Même le président a menacé ceux qui revendiqueraient », témoigne un agent de l’usine de Friguia qui souhaite garder l’anonymat. En réalité ici, personne n’ose parler à visage découvert, depuis la relance des activités, après de longues années de fermeture imputée aux syndicalistes.

Après le discours du président Alpha Condé à Fria, à l’occasion de la relance de l’usine, le 20 juin dernier, l’espoir de voir les travailleurs reprendre sous la bannière de Rusal/Friaguia a fondu comme neige au soleil chez notre interlocuteur. Et chez la plupart des travailleurs.

« Nous avons pensé qu’il allait exiger des Russes qu’on reprenne le travail. Pour lui, certainement, nous avons repris le travail. C’était à l’autorité locale de le lui rappeler », regrette-t-il.

Comme notre interlocuteur, la plupart des travailleurs de Rusal/Friguia que nous avons rencontrés sont sceptiques face à la toute-puissance des Russes « qui savent désormais qu’ils peuvent tout se permettre. Nous sommes en position de faiblesse. Mais l’Etat doit leur exiger le respect des contrats de travail. Ils ne sont pas obligés de reprendre tout le monde. Mais ceux dont ils ont besoin, ils doivent les reprendre dans le strict respect des contrats de travail », indique-t-il, le regard orienté vers le vide.

La situation des travailleurs de Rusal/Friguia est « inquiétante », commente un cadre de l’usine. Quand bien même que la production de l’usine a repris.

Quand est-ce que les travailleurs reprendront sous la bannière de Rusal/Friguia ? Au siège de Rusal, personne ne veut répondre à cette question. C’est motus bouche cousue.

En attendant, les travailleurs ruminent leur mal à Friguia, et acceptent de se faire employer pour des contrats à durée déterminée, malgré eux, par une société d’intérim dénommée Seinta Prestation, proche des Russes.

Et ils relèvent un paradoxe : « Ils disent qu’ils vont augmenter le nombre de travailleurs. Comment vont-ils le faire, s’ils sont incapables de rappeler les travailleurs déjà sous contrat avec eux « , s’interroge le cadre de l’usine qui nous a dit être sceptique quant à l’avenir des travailleurs dans l’usine d’alumine.

Le président Condé a souhaité que les directeurs des ressources humaines (DRH) des sociétés minières soient des Guinéens. Appliquée, cette mesure soulagerait les travailleurs qui ne manquent pas déjà de reproches à l’égard de la DRH de l’usine, une certaine Lena Gaskova.

« C’est elle qui refuse de reprendre les travailleurs sous la bannière de Rusal/Friguia. Elle préfère nous employer dans la sous-traitance où nous avons moins de droits et avantages. Surtout avec la sous-traitance, l’emploi est précaire. Nous avons appris que certains, à Rusal, voulaient qu’on normalise les choses, c’est elle qui n’aurait pas voulu », accuse notre ouvrier cité plus haut.

Ce n’est pas tout. Lena Gaskova, qui ne parlerait pas un traitre mot français, sèmerait la terreur avec une « commission de discipline » mise en place pour sanctionner les travailleurs jugés indélicats. Sans aucune autre forme de procès.

 

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