En France et à Rome, le cardinal Sarah suscite autant d’engouement que de désapprobation. Qui est-il réellement ?

Un nouveau livre, la Force du silence (Fayard), qui fait déjà beaucoup parler de lui ; 335.000 exemplaires de Dieu ou rien (Pluriel) son livre d’entretiens, vendus dans le monde entier dont 32.000 en France, 12 traductions, une tournée triomphale dans le monde entier : le cardinal Sarah est devenu un auteur de best-sellers. Ses conférences font salle comble. Il faut dire que le prélat ne fait ni dans la langue de buis ni dans le politiquement correct, multipliant les phrases chocs et les cris d’alarme face à la « crise » spirituelle et morale de l’Occident. Le dernier en date, devant les 1200 scouts d’Europe réunis pour la Toussaint à Vézelay : « L’idéologie du genre, les libertés démocratiques sans mesure et sans limite et Daech ont tous la même origine satanique. »

Comment expliquer son succès ? Est-il réellement l’opposant au pape François que beaucoup décrivent ? Le « phénomène Sarah » commence début 2015, avec la sortie de Dieu ou rien. Ce livre d’entretiens, le cardinal l’a écrit avec Nicolas Diat, déjà auteur d’un succès de librairie : L’homme qui ne voulait pas être pape (Albin Michel). Cette enquête fouillée sur le pontificat de Benoît XVI, publiée un an plus tôt, a fait couler beaucoup d’encre, notamment, ce qui est rare, du père Federico Lombardi, alors directeur du bureau de presse du Saint-Siège, qui se montre très critique : « L’auteur du livre, qui est à coup sûr un grand admirateur du pape Benoît, écrit-il, ne semble pas en revanche en être un bon disciple. » Titulaire d’un diplôme de communication politique, Nicolas Diat a travaillé quatre ans auprès de Laurent Wauquiez, dont il a été conseiller spécial, notamment au Quai d’Orsay.

La France, par ses missionnaires, m’a apporté la foi, l’Évangile, m’a communiqué les valeurs chrétiennes, humaines.

Sa popularité en France, le cardinal la doit à une attention et à une présence tout à fait particulière sur le territoire. Sur son compte Twitter, on trouve des messages de soutien à la France lors des attentats ou à l’occasion de profanations, des photos de ses déplacements dans des communautés religieuses françaises. Ainsi, il comble un besoin d’attention. Les catholiques français avaient pris l’habitude de se sentir au centre de la sollicitude de Rome sous le très francophile Benoît XVI, ce qui est moins le cas avec François, plus démonstratif à l’égard des périphéries.

Les encouragements du cardinal à la Manif pour tous lui valent des milliers d’admirateurs. Là où l’Église de France joue la carte de la modération et du consensus pour maintenir l’unité, il tranche par son langage radical. Problème : la reprise en boucle de ses propos et de son actualité sur des sites dits de « réinformation » identitaires, généralement politisés à la droite de la droite et hostiles au pape François, place un certain nombre de prêtres français dans la délicate posture de devoir faire le « service après-vente » auprès de jeunes catholiques, nourris par ces lectures.

« À mon avis, explique un de ses admirateurs, le problème est que ses partisans les plus zélés, mais pas forcément les plus fidèles, se retrouvent parmi les catholiques très critiques vis-à-vis de l’épiscopat français, habituellement attachés au pape mais sceptiques voire, pour certains, franchement hostiles, au pape François. Catholiques souvent politisés jusqu’à la confusion, qui confondent certains sites identitaires avec la doctrine sociale de l’Église. Tous ne sont évidemment pas comme ça, mais ceux-là sont les plus bruyants, sur les réseaux sociaux notamment. »

Pourtant, le cardinal n’est pas un homme de pouvoir ni un tacticien. Parmi ceux qui le connaissent bien, y compris ses détracteurs, il y a consensus sur ce point. C’est un non-politique, un mystique, qui oublie parfois qu’il évolue dans un monde ecclésial où tout est possiblement instrumentalisé.

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