« Lève-toi ! ». Douze années se sont écoulées depuis son réveil brutal, aux premières lueurs de l’aube, alors qu’elle dormait paisiblement à côté de sa sœur, mais Adama Bah, alors âgée de 16 ans, reste hantée par ce cri strident qui résonne encore dans sa tête, et par sa vision d’effroi en apercevant, les paupières lourdes et à demi closes, des agents du FBI dans sa chambre, la fusillant du regard.

Cette Guinéenne, qui avait tout juste deux ans lorsqu’elle débarqua en famille à New York, n’oubliera jamais le cauchemar éveillé qu’elle a vécu ce matin du 24 mars 2005, forcée de sortir de son lit manu militari pour se rendre dans le salon, sous les yeux effarés de sa jeune sœur et de ses parents.

Saisie d’une intense frayeur qui a laissé des séquelles, d’autant plus qu’elle ne comprenait rien à cette soudaine agitation policière autour de sa personne, l’adolescente d’hier, qui présentait le triple handicap d’être noire, musulmane et voilée, a laissé place à la jeune femme d’aujourd’hui, laquelle tente de surmonter son traumatisme en brisant le silence sur son interpellation d’une violence inouïe, entourée d’une suspicion qui lui fait encore froid dans le dos : elle était suspectée d’être une « terroriste ».

« Ma descente aux enfers dans un centre de détention pour mineurs, en Pennsylvanie, où j’ai été incarcérée après avoir été menottée devant ma famille en pleurs, est l’illustration des dérives que la peur des musulmans peut engendrer », a-t-elle relaté, submergée par l’émotion, dans le témoignage à cœur ouvert qu’elle a livré récemment, en alertant sur les effets dévastateurs de l’exacerbation de la haine à des fins politiques, à la manière de Trump.

Passée du domicile familial à la case prison sans ménagement, ni phase de transition, Adama Bah n’a plus eu pour horizon que les barreaux de la cellule dans laquelle se trouvait une autre adolescente musulmane dont le visage lui était familier : il s’agissait de Tashnuba Hayder, une jeune fille croisée à la mosquée.

Soumise à la question par des agents de la sécurité intérieure impressionnants de dureté qui lui signifièrent que son visa avait expiré, elle se souvient avoir laissé échapper un léger rire, plutôt jaune, quand elle s’est entendue dire qu’elle représentait une « menace imminente pour le pays »… Devant une telle énormité et sous la pression de ses tortionnaires, elle a ri nerveusement pour ne pas en pleurer, avant de se voir reprocher vertement un « rire suspect ».

Mais le pire restait à venir, quand elle a fini par savoir les vraies raisons de la descente de police fracassante et de son emprisonnement mené au pas de charge : son nom figurait sur une liste de « kamikazes potentiels » qui était en possession de la jeune Tashnuba. A ces mots, elle s’est écriée, à bout de nerfs « Je ne pas une terroriste ! », puis s’est effondrée en larmes.

Pendant que la mobilisation en sa faveur prenait de l’ampleur à l’extérieur, sous l’impulsion de Charles Rangel, un membre du Congrès représentant le district où résidait sa famille, Adama Bah, qui comprendra plus tard que Tashnuba, sa co-détenue d’infortune, avait été manipulée, a estimé que l’heure était venue de révéler sur la place publique ce qu’elle n’avait jamais osé dire, par crainte de représailles : « On ne m’a jamais montré la fameuse liste sur laquelle il était soi-disant indiqué que j’étais une terroriste. Il n’y a jamais eu aucune preuve tangible étayant cette allégation ! », martèle-t-elle, comme pour mieux se libérer de sa peur paralysante.

Dans une lettre adressée, à l’époque, au juge de l’Immigration qu’elle brandit à présent comme la preuve irréfutable de son innocence, le sénateur Rangel dénonçait les graves dérives de la lutte anti-terroriste qui, quatre ans après le 11 septembre, firent basculer dans le drame la vie d’une adolescente noire, musulmane et revêtue d’un hijab.

leverificateur